TDAH : un trouble qui bouscule le quotidien, une prise en charge qui évolue
Inattention, impulsivité, difficultés émotionnelles ou organisationnelles... Derrière ces symptômes souvent banalisés ou mal interprétés, se cache parfois un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).
TDAH : un trouble qui bouscule le quotidien, une prise en charge qui évolue
Inattention, impulsivité, difficultés émotionnelles ou organisationnelles... Derrière ces symptômes souvent banalisés ou mal interprétés, se cache parfois un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Encore mal compris, parfois stigmatisé, le TDAH touche pourtant jusqu’à 5 % des enfants et près de 3 % des adultes[1]. Mais comment le diagnostiquer de manière rigoureuse ? Vers qui se tourner ? Et surtout, comment mieux vivre avec ce trouble au quotidien ?
Nous avons interrogé le Professeur Pierre Oswald, Directeur du Service de Psychiatrie de l’Hôpital Universitaire de Bruxelles (H.U.B) et Stéphanie Braun, Psychologue clinicienne spécialisée en évaluation psychométrique, pour éclairer ce parcours souvent sinueux.
TDAH : un trouble ancien, des perceptions changeantes
Le TDAH n’a pas toujours porté ce nom. Dès le 18ème siècle, des médecins décrivaient des enfants “agités”, “distraits”, “instables” — sans pour autant nommer un trouble. Au début du XXème siècle, le “déficit de l’attention” est évoqué sous des formes variées, souvent en lien avec des hypothèses neurologiques ou éducatives.
Ce n’est qu’à partir des années 1980, avec l’évolution des classifications psychiatriques (notamment le DSM), que le TDAH prend une forme clinique plus stable. Il est désormais reconnu comme un trouble neurodéveloppemental, ce qui signifie qu’il trouve son origine dans le développement du cerveau, qu’il émerge dans l’enfance et impacte durablement certaines fonctions cognitives comme l’attention, la mémoire de travail, la planification ou encore, la régulation émotionnelle et comportementale.
« Ce n’est pas un simple retard ou une difficulté passagère, mais un mode de fonctionnement qui s’installe dès l’enfance, et dont les manifestations varient selon les périodes de vie », souligne Stéphanie Braun.
Évaluer le TDAH : une démarche clinique rigoureuse
Contrairement à certaines idées reçues, il n’existe aucun test biologique (prise de sang, IRM...) permettant de diagnostiquer un TDAH. « Le diagnostic repose sur une évaluation clinique approfondie », explique Stéphanie Braun.
Chez l’enfant comme chez l’adulte, l’évaluation s’appuie sur plusieurs outils scientifiquement validés :
- une anamnèse détaillée (parcours scolaire, antécédents familiaux, histoire personnelle),
- des auto-questionnaires standardisés et actualisés,
- des entretiens cliniques structurés, permettant de nuancer les données récoltées
- et, si nécessaire, un bilan neuropsychologique, notamment chez les enfants et les adolescents pour repérer les forces et faiblesses cognitives ou répondre à une demande scolaire d’aménagements. Au sein de l’ H.U.B., nous pouvons compter sur l’expertise du neuropsychologue Hichem Slama, directeur du Service de Neuropsychologie et de Logopédie
« On fait un vrai travail de détective. On cherche à comprendre ce qui, dès l’enfance, a pu indiquer un fonctionnement différent, même si la personne a développé des stratégies de compensation ».
Des signes discrets, souvent confondus avec autre chose
Si l’on connaît bien les enfants agités ou rêvassant en classe, le TDAH peut aussi se manifester de manière bien plus discrète, notamment chez l’adulte, ce qui rend le diagnostic particulièrement complexe.
« Chez un adulte qui consulte pour une souffrance psychique, le TDAH doit toujours être envisagé dans le diagnostic différentiel », insiste le Pr Oswald. « Les symptômes classiques tels que l’inattention, l’impulsivité, l’hyperactivité – peuvent être masqués par des mécanismes de compensation ou se transformer avec le temps : anxiété chronique, troubles du sommeil, sentiment d’échec, irritabilité, difficultés relationnelles », précise-t-il.
Il faut donc être particulièrement attentif à la régulation émotionnelle : « Des colères intenses ou des tristesses profondes, courtes mais disproportionnées, souvent suivies de culpabilité, peuvent signaler un TDAH sous-jacent », ajoute-t-il. Chez certains adultes, les difficultés se manifestent tardivement, lorsqu’un mécanisme de compensation cède — changement de rythme, parentalité, surcharge mentale…
Un trouble rarement seul : anxiété, dépression, addictions
Dans plus de 80 % des cas, le TDAH coexiste avec d’autres troubles, comme la dépression, des troubles anxieux, ou encore des troubles du sommeil[2]. « Ces comorbidités sont souvent des conséquences des efforts constants déployés pour compenser les difficultés attentionnelles et émotionnelles et fonctionner normalement », indique le psychiatre.
Il cite aussi des liens fréquents avec :
- des troubles de la consommation de substances (alcool, cannabis, cocaïne)[3],
- des troubles de la personnalité (notamment la personnalité borderline),
- et des troubles comportementaux, parfois en lien avec des parcours médico-légaux.
Quand consulter ? Et par où commencer ?
Trop souvent, les personnes consultent tardivement, lorsqu’une détresse importante s’est installée. « Il ne faut pas attendre d’aller mal pour consulter. Des difficultés d’organisation, de concentration, de gestion émotionnelle au quotidien sont déjà des signaux d’alerte », insiste Stéphanie Braun.
Le parcours de soin démarre en général par le médecin généraliste, qui peut ensuite orienter vers un professionnel formé au TDAH (psychologue, psychiatre). « Il faut former les médecins de première ligne au dépistage, afin d’améliorer la fluidité de communication et de prise en charge entre les différentes lignes de soins », explique le Pr Oswald. Car le TDAH, ce n’est pas “juste un trouble psy” : il impacte toute la vie — scolaire, professionnelle, sociale, familiale.
Être parents d’un enfant avec un TDAH
Chez l’enfant, ce sont souvent les enseignants qui sont les premiers à repérer des comportements qui sortent de la norme : agitation motrice, difficultés à suivre les consignes, troubles attentionnels. La collaboration entre les parents, l’école et les professionnels de santé est alors essentielle. « Ce n’est jamais facile pour un parent d’être convoqué pour parler des difficultés de son enfant, mais c’est ce qui va permettre d’entamer un parcours de soins adaptés qui bénéficiera à tous, enfants, parents et enseignants», note Stéphanie Braun.
Un diagnostic peut être un soulagement pour les familles, en apportant une explication aux difficultés rencontrées et en ouvrant l’accès à des aides concrètes : aménagements scolaires, accompagnement éducatif, guidance parentale. Il faut néanmoins rester prudent et « Éviter de coller une étiquette trop tôt, tout en restant attentif aux signaux d’alerte. » souligne Stéphanie Braun.
Et au quotidien ? Conseils pratiques en attendant un diagnostic
Pas besoin d’attendre un diagnostic officiel pour commencer à s’aider. De nombreuses stratégies de régulation peuvent déjà être mises en place avec le patient :
- Hygiène de vie (sommeil, alimentation, activité physique régulière),
- Outils de gestion du temps et des priorités (agendas visuels, minuteurs),
- Espaces de pause et de récupération dans la journée,
- Psychoéducation (comprendre son fonctionnement),
- Soutien parental et aménagements scolaires adaptés,
- Relaxation, cohérence cardiaque, méditation, via des applications ou associations spécialisées.
« Beaucoup de choses peuvent déjà améliorer le quotidien, même sans traitement médicamenteux », rappelle le psychiatre. Il plaide pour une approche pluridisciplinaire et personnalisée, incluant des professionnels de la santé mais aussi des coachs, éducateurs, ergothérapeutes, diététiciens.
Un trouble multifacette à aborder avec nuance et espoir
Aujourd’hui, le TDAH est reconnu comme un trouble à part entière, avec une base neurologique et génétique, mais fortement influencé par l’environnement et les facteurs psychosociaux. Un trouble à la croisée du biologique et du vécu, qui nécessite une approche nuancée, humaine et individualisée.
Le TDAH n’est pas un “défaut” à corriger, mais un fonctionnement cérébral différent, avec ses défis, mais aussi ses ressources. Il ne se résume pas à un diagnostic posé ou non : il se travaille au quotidien, dans une collaboration entre la personne, sa famille et les soignants.
« La médecine n’apporte jamais de certitude absolue. En psychiatrie encore moins. Mais ce qu’on peut garantir, c’est un accompagnement respectueux, progressif, et adapté à chaque personne », conclut le Pr Oswald.
Pour aller plus loin
- TDAH Belgique
- Association française TDAH France
- Applications recommandées : Petit BamBou, Respirelax+, Time Timer
- Livres : TDAH adulte – Le reconnaître et le prendre en charge (Ed. Dunod), Mon cerveau a besoin de lunettes (Annick Vincent)
[1] Source : Polanczyk G et al. (2007). The worldwide prevalence of ADHD: a systematic review and metaregression analysis, American Journal of Psychiatry ; Faraone SV et al. (2021), WFADHD Statement.
[2] Source: American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (DSM-5), 2013 ; Faraone SV et al. (2021), The World Federation of ADHD International Consensus Statement, Neuroscience and Biobehavioral Reviews.
[3] Source : Wilens TE et al. (2011). Does ADHD predict substance-use disorders? A 10-year follow-up study of young adults with ADHD, Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry.
Liens